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Corps en crise et sujet en κρίσις

 

 

Emmanouil Konstantopoulos, psychanalyste, Docteur en Anthropologie Psychanalytique et Pratiques Cliniques du Corps de l' Université Paris Diderot.

 

 

Le corps en crise, la société en crise, la psychanalyse en crise, la recherche en crise, l’université en crise, la famille en crise, le couple en crise, le sexe en crise, l’interdit de l’inceste en crise, le père en crise, la mère en crise, la fraternité en crise, la crise en crise puisqu’en tant que notion ne cesse pas d’être répétée accompagnant toute activité, toute structure, toute forme, toute formation qui est en panne, qui ne marche pas bien, qui se trouve en déclin. Pourtant la crise porte en elle-même le mot grec κρίσις (crisis) qui renvoie comme notion au sens de pouvoir distinguer, au sens (aristotélicien) de pouvoir choisir, de pouvoir élire, de pouvoir prendre une décision, d’être décisif dans le sens d’avoir l’esprit critique.

 

On attribue, volontairement, au corps l’état de pouvoir être en crise, mais on oublie qu’il y a, bel et bien, un sujet qui est toujours là et qui se force d’être parlant, pensant, enfin qui s’efforce d’être et d’avoir l’esprit critique. D’une manière très générale, mais enfin pas tant que ça, tant que la médicine n’a pas encore pu vaincre la mort (on sait malheureusement qu’il y a certains scientifiques en médecine, en biologie ou en biochimie qui n’attendent que ça de la recherche scientifique), tant que les biotechnologies n’ont pas encore pu transporter le corps en machine biochimique le sujet reste toujours habillé par son corps. Le sujet porte toujours son propre corps en souffrance, des fois excité, des fois impulsé, mais toujours dans son rapport structuré par les trois instances du réel, du symbolique et de l’imaginaire.

 

D’une manière la fin de la mort, la fin du corps humain reste une idée qui gît dans le spectre de la fiction. Des fois cette propre fiction est souttenue par un fantasme mortel, pervers, suicidaire ou autre et des fois même pas. Il y a, donc, toujours dans la recherche médicale, dans la stratégie ou la gestion (?) politique, dans les stratégies économiques, dans les différentes théories biotechnologiques ou/et dans les différentes théories sociales postmodernes des options qui ne cessent pas de répéter les différentes solutions de remaniements des idéaux qui poussent la sexualité et le corps vers une jouissance qui ne fait que tyranniser le sujet par une angoisse toujours plus pénible. L’idée c’est la déculpabilisation, complète si possible, de la sexualité, de la maladie etc.

Bref l’idée, c’est d’avoir un sujet qui ne sera plus un sujet ou alors qui sera ce qu’on appelle volontiers un sujet postmoderne. La question qui pose le sujet postmoderne c’est « à quoi sert de souffrir », « à quoi sert d’être en malaise »?

 

Pourquoi pas donc, ne pas pouvoir poser la question « à quoi sert de refouler » puisque le but serait de ne plus avoir quelque chose, un objet qui mériterait d’être refoulé ? Ce qui reste alors d’un sujet, avec tout ce qui reste de son corps, est pris par une angoisse généralisée qui donne des nouvelles formes psychopathologiques des névroses, des psychoses, et des perversions ou des formes qui restent bloquées aux strictes limites de telle ou telle structure psychique. Cette dernière version montre bien que le sujet peut être, peut vivre tout à fait bloqué restant accaparé par l’idée d’être porteur d’un moi qui peut tout contrôler et surtout l’état jouissif d’un « pouvoir vivre » sans culpabilité, sans père, sans mère, sans déclin et sans loi. Comme si la loi, le déclin, la mère, le père et la culpabilité seraient des objets à abandonner, à jeter une fois pour toutes. Le problème est que tout ces signifiants agaçants qui prétendent normaliser notre vie et qu’il fallait enterrer à jamais reviennent, via n’importe quel remaniement peu, post ou ultramoderne par la voie d’un signifiant Maitre éternel qui ne cesse pas de terroriser la chair(e) de la civilisation depuis la naissance du sujet, depuis la naissance du langage. Eh oui, c’est la Mort.

 

Disons, heureusement que ce fameux « missing link » freudien garde bien son statut figurant les bienfaits, mais aussi les malfaits de l’inconscient par ce qui garde en distance et en même temps relie le corps et la psyché. Tant ce missing link existe il y aura, d’une certaine façon, toujours le lieu (topos), l’espace et le temps de « capitonner » toute crise et toute souffrance qui va avec. Le point mort de la technologie, médicale ou autre, serait de faire de ce missing link un trou colmaté où entre le corps en crise et le sujet en esprit critique il n’y aurait plus rien à capitonner.     

 

 

 

 

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