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Le corps en miettes de la post-modernité

 

Benjamin Levy, psychologue clinicien, doctorant aux Universités Paris-7 Diderot et Paris-5 Descartes. 
 

 

La postmodernité se définit, selon le philosophe Jean-François Lyotard[1], par la disparition des grands récits qui donnent sens à l'histoire: ces grands récits, autrefois connus sous le nom d'idéologies, seraient, nous dit Lyotard, vouées à l'extinction pour être remplacés par un pullulement de petites histoires que chacun se bricole, au jour le jour, et qui constituent autant de fables idiosyncrasiques.

 

Le même raisonnement est applicable à ce qu'il advient du corps à l'ère post-moderne. La post-modernité n'est pas seulement la fin des grands récits, c'est aussi la fin du corps :

 

  • Un « corps », tel que défini par le dictionnaire[2], est un « ensemble des parties matérielles », et ces parties, lorsqu'elles sont unifiées, constituent « l'organisme ».

 

  • Or, ce qui tient lieu de « corps » à l'individu post-moderne, ce n'est justement pas un « ensemble de parties » unifié. C'est une somme mal structurée d'organes, de pulsions, de membres désarticulés - bref, plutôt une dés-organisation qu'un organisme.

 

  • Ce qui remplace le corps, à l’ère post-moderne, pourrait donc porter le nom d’« agrégat ». L'agrégat se définit comme une « réunion d'éléments distincts en un tout de forme mal définie[3] ».

 

Pourquoi cette disparition du corps contemporain ? Les raisons en sont nombreuses, mais il semble que les nouvelles technologies jouent un rôle essentiel.

 

Les écrans se multiplient. Les canaux sensoriels éclatent. Les pulsions se délient. Quotidiennement, nous devons regarder d'un côté, écouter de l'autre. Une main sur le volant, l'autre sur la boîte de vitesse ; une oreille tendue vers le téléphone, l'autre écoutant la radio ; un oeil sur l'écran du GPS et autre sur le trafic - tel est le conducteur d'automobile lambda.

 

Si encore il n'y avait que la désagrégation du corps pulsionnel. Mais non.  Il y a aussi la dés-organisation du corps biologique, découpé par la chirurgie, armé de greffes et de prothèses - bref, mis en miettes.

 

Et ce n'est pas tout. Car, même s'il ne fallait compter ni avec la déliaison pulsionnelle, ni avec la destruction chirurgicale du corps, nous devrions encore faire avec la démultiplication de nos doubles imaginaires, plus ou moins désincarnés. Est-il permis, aujourd’hui, d'être un seul et même « corps »  ? Non bien sûr. Il faut être plusieurs : un corps informatique, un corps photogénique, un corps-Facebook, un corps-Twitter, un corps-en-ligne et un corps-Skype. Notre corps se défait au fur et à mesure qu'il gagne le moyen de se démultiplier imaginairement, sur la scène virtuelle.

 

Est-il besoin de conclure ? Si oui, ce sera simplement pour récapituler les différents niveaux (au moins trois) de désagrégation du corps contemporain.

 

- 1 / Déliaison pulsionnelle, via la désunification des canaux sensoriels (multiples écrans, oreillettes et interfaces à maîtriser simultanément).

 

- 2 / Dés-organisation du corps biologique, découpé chirurgicalement et réduit à un agrégat de parties substitutables ou greffables comme autant de prothèses.

 

- 3 / Perte de l'unicité du corps imaginaire via la multiplication de ses doubles virtuels et autres avatars on-line (qui constituent autant de spectres errants sur les steppes de l'internet).

 

Pour autant, il ne faudrait pas croire que « c’était mieux avant ». Le malaise dans la culture n’est pas chose nouvelle. Aujourd’hui comme hier, il sgit simplement de prendre acte de ce qui est, pour mieux découvrir les moyens de s’y confronter

 

 

 

[1] Jean-François LYOTARD, 1979. La condition postmoderne, rapport sur le savoir. Paris, Éditions de Minuit.

 

[2] http://atilf.atilf.fr/

 

[3] Ibid.

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