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LE CORPS ÉROGÈNE : L’INTIME DE L’ART ET DE L’INCONSCIENT

                                       

Fernando BAYRO-CORROCHANO, Psychanalyste - Sculpteur- Art-Thérapeute, Docteur en Psychopathologie et Psychanalyse.

  

 

« Nous aimerons fort indiquer de quelle manière l’activité artistique

se ramène aux pulsions psychiques originaires,

si ce n’était justement ici que les moyens nous font défaut. »

S. Freud ( 1904)

 

« Pour quoi ne pas mettre les organes sexuelles

à la place des yeux et les yeux entre les jambes. »

P. Picasso(1927)

 

 

LE TANGIBLE A L’ŒUVRE.

 

L’artiste dans sa confrontation avec la matière nécessaire à la création va être amené à faire « corps » avec l’œuvre.

Plus que le « toucher » dans les procédures artistiques, qui n’est que la dimension « haptique » du sens tactile, notre approche du corps insiste surtout sur l’organe du sens tactile «  la peau » et de sa représentation psychique.

 

En effet, le sens du tactile a la fonction première de réguler l’inter-sensorialité avec son organe la peau. Une fonction qui relie donc les informations venant des autres sens : la vue, le goût, l’odorat, l’audition.

 

Le Moi est avant tout un «  Moi-Corps », en tant que « projection mentale de la surface du corps », et lieu des représentations psychiques  de ces  impressions sensorielles. Celles produites par l’espace corporel tout entier et celles produites par l’espace extérieur. Il existerait, pour Freud, une spatialité psychique projetée hors des limites du corps, c'est-à-dire « en extension » dans le monde extérieur.

Cette spatialité corporelle et sa perception tactile passent, soit par la perception des formes corporelles qui peuvent être pleines, comme les membres supérieurs, ou creuses, comme la bouche, le vagin ou l’anus; soit par la perception de l’espace corporel qui est aussi celle des « expansion », « dilatation » des formes du corps, notamment celle de la « tumescence » des organes, comme le gonflement  des organes « génitaux ».

 

Ces perceptions spatiales corporelles sont des sensations tactiles. Les formes, les volumes, et le mouvement du corps sont le support d’innombrables images et déformations « subjectives » et inconscientes.

 

Voici un enjeu fondamental, pour nous qui avons une pratique clinique  avec des supports artistiques, interroger par la sculpture et par la peinture, les « représentations inconscientes du corps » et cette étendue  de l’appareil psychique hors du corps propre sur l’objet créé.

 

Retenons deux artistes exemplaires à ce titre : du travail de Rodin surtout, le « morcellement » de la représentation corporelle, inscrit par  «l’absence » de représentation de certaines parties du corps : pied, visage, mains, sexe, seins.

Par ce procédé, Rodin confronte le spectateur à la tension suivante : engager « son corps » propre avec l’œuvre et compléter « psychiquement » la sculpture en remodelant ce « pied », cette « main », ce « sexe » mentalement.

A l’inverse, dans cette confrontation le spectateur peut rester dans la sidération, en face de la représentation du « corps morcelé ».

 

Pensons aussi le corps dans l’œuvre de Picasso : ce « toucheur » est l’artiste qui a l’amour de la matière et la décomposition des formes. La rupture qu’il opère avec les canons et les fondements réalistes de la représentation du corps, est d’aller « chercher » des formes et des structures potentiellement présentes dans le corps humain, pour en disposer librement.

Ces deux artistes restituent par leur « travail » de création, un autre celui fait par l’inconscient avec les représentations corporelles intrapsychiques.  

 

Revenons sur les sensations corporelles : elles produisent des images psychiques, comme le rêve et les constructions  fantasmatiques  déterminant leur travail et leur contenu donc. Ces mêmes sensations corporelles en correspondance avec celles produites par le « truchement » des matériaux plastiques dans la création,  vont déterminer aussi de nouvelles  images et des formes esthétiques qui feront œuvre.

 

Nous observons également que la représentation du corps sexuel hante les Peintres et les Sculpteurs,   surtout en Occident à partir de la Renaissance, renaissance en tant que retour sur la représentation païenne du  corps de l’Antiquité Grecque, notamment à celui représenté par Polyclète, Phidias, Cresilas et Praxitèle, comme pour les Modernes, qui ont tout osé dans sa représentation, pourtant ce Corps ne finit pas, ni de se dévoiler, ni de leur échapper. Corps surréaliste, corps en « distorsion », loin de l’Anatomie médicale, étrange et inquiétant le plus souvent.

 

Si nous acceptons l’hypothèse : « Que les sensations corporelles et leurs représentations psychiques chez l’artiste sont corps érogène donc,  se  déploient topologiquement dans l’œuvre », il nous faut aussi postuler celle de son retour sur le spectateur, par « l’émotion esthétique » ressentie.

S’il y a effet « esthétique », il y a rencontre avec l’artiste, rencontre qui fait lien avec lui, avec son savoir inconscient et rencontre aussi avec sa source corporelle originaire, sexuelle et enfantine.

Le narcissisme en somme.

 

La jouissance esthétique du spectateur signe sa participation et assure ainsi la continuité du processus de création qui soutient l’objet créé.

 

Nous voyons, comme l’ensemble de l’œuvre d’un artiste est belle et bien une véritable « cartographie » de zones érogènes, excitées par la quête des représentations des objets du désir.

 

 

RENDRE SENSIBLE L’INTIME PAR l’ART PLASTIQUE 

 

Nous partageons le postulat de  J-B. Pontalis,  rendre « sensible » l’Intime, est une des visées du travail psychothérapeutique. Mais nous pouvons faire le constat que dans notre dispositif d’Art-Thérapie à référence psychanalytique, dès qu’on essaie de rendre cet « Intime » visible et tangible par la peinture ou la sculpture, inévitablement ceci deviendra une tentative de saisir le « réel » du sexe, la jouissance et son objet.

Figurer le Corps par l’expression plastique, c’est montrer le corps dans tous ses états en faisant appel au corps sexué érogène.

 

Réappropriation de l’Intime, en tant que soutien érogène du corps propre pour l’intégrer, le symboliser plus en tant que corps subjectif unifié qu’éparpillé dans des pulsions partielles.

Ce corps intime est un corps vécu psychiquement, comme « non finito », à remodeler constamment en présence de l’autre désiré.

 

Cliniquement cela se manifeste par une intrication entre les pulsions partielles et les matières du corps : larmes, salive, ongles, pilosité, sang, urine, sperme, excréments et autres secrétions, se différenciant par leur consistance, couleur et odeur. Avec leurs conséquences sensorielles pour le sujet et son entourage en tant que « signifiants » et lieux de toutes les ambivalences pulsionnelles d’attirance et de répulsion.

 

Les formes du corps : la tête , le visage, le cou ; les épaules, les bras, les mains, la poitrine, le torse, le pubis, le sexe féminin, le sexe masculin, les cuisses, les pieds, le dos et la peau, comme ceux des orifices du corps : les oreilles, les narines, la bouche, l’urètre, le vagin et l’anus, ces autres « signifiants », participent aussi à des investissements partiels de cette sorte, donnant un tableau psychopathologique assez large.

 

Bien que certains artistes donnent à ces « objets » corporels une fonction symbolique reliée à l’objet d’art, le pervers, lui, fera des parties et des matériaux issus du corps,  les objets sexuels d’une jouissance intense.

Le névrosé rêve, fantasme de faire que ces matériaux et formes corporels deviennent des objets sexuels sans y parvenir vraiment.

Le psychotique, par contre, peut devenir lui-même, tout entier, une partie du corps ou un de ces matériaux corporels.

 

Les distorsions, les inflations, les rapetissements du moi-corporel, le grotesque, l’obscène dans son expression. Autant que les déformations subjectives des parties du corps, leur fétichisation, comme les persécutions du corps propre par des scarifications, par des meurtrissures ou par des inhibitions, sont la source des multiples images inconscientes « agissantes » et fortement intriquées aux symptômes auxquels le clinicien se confronte si souvent.

 

Plus on figure le Corps par les arts plastiques, plus on est amené à figurer psychiquement les sensations corporelles qui accompagnent la création. Cette équivalence entre le dedans et le dehors est la condition pour que l’Art-Thérapie à référence psychanalytique, soit une véritable « archéologie du moi  corporel » en tant que réappropriation de l’Intime, réappropriation de cette matérialité désirante et sensible du corps sexué.

 

Cette pratique clinique avec l’Art,  peut constituer aussi le « moyen manqué » à S. Freud pour articuler et ouvrir la recherche sur comme l’activité artistique, fait retour sur les pulsions psychiques originaires.

 

Disons pour conclure que : Fantasmer et Énoncer la matérialité désirante et sensible du corps subjectif demande une certaine Plasticité Psychique.

 

 

 

[1] Psychanalyste - Sculpteur- Art-Thérapeute

   Docteur en Psychopathologie et Psychanalyse.

   Responsable de la Formation Arts Plastiques et Pratique Clinique.

   Université de Paris 7 Denis Diderot UFR. E. P.

   Mail : bayrof@aol.com. YouTube : fernando bayro-corrochano

   www. cmsea.com

 

 

 

 

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