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Laure Westphal, Docteur en psychanalyse et psychopathologie, Chargée de cours à l’Université Paris 7, Psychologue clinicienne au Centre Hospitalier Marc Jacquet, Melun

 

 

De la paralysie hystérique d’hier à l’anesthésie médicamenteuse d’aujourd’hui.

 

 

D’après la philosophie sociale et Foucault notamment, le corps est devenu un instrument de travail sous la pression d’enjeux moraux et économiques dynamisés par la révolution industrielle. Cette longue période d’objectalisation n’a pas laissé le corps indemne, puisqu’il est toujours appliqué à l’exercice avec autant de zèle. La fonctionnalité du corps a d’ailleurs été exploitée par tous les systèmes disciplinaires dont le point de mire est la conformité. L'un de ses avatars, « la morale sexuelle civilisée » a été contestée au 19e siècle par la révolte de l’hystérique faite de crises d'angoisse paroxystiques ou de paralysies énigmatiques. L’hystérique lançait au médecin le défi d'entendre les conflits libidinaux sous-jacents et l'ardeur du désir qui se liait désormais à cet interlocuteur privilégié. Acculée à déchiffrer le langage inconscient pour comprendre et soigner, la médecine s’est subjectivée et a donné naissance à la psychanalyse. Le sujet supposé savoir a permis au transfert de s’instituer dans la cure et de résorber la part de névrose actuelle. Même si tous n’avaient pas le génie de Freud à entendre la portée cathartique d’un fantasme de séduction subjectivé, nombreux sont ceux qui cherchaient à favoriser une forme d’abréaction. Le corps a fait reconnaître son érogénéité.

 

Depuis quelques décennies, le retour à la médicalisation des « troubles névrotiques » est porté par l’idéologie pharmaceutique chargée d’adapter le corps aux exigences de la société. Ce n’est pas la démarche qui est nouvelle, mais l’écho qu’elle trouve. Il est légitime que le sujet attende des psychotropes qu’ils accomplissent des performances y compris celle d’anesthésier la souffrance. Dans l’hystérie, cette version actualisée du « brise-souci » freudien est parfois investie pour atténuer l’angoisse et court-circuiter le manque structurellement si problématique. Avec cet arsenal thérapeutique, le corps devrait finir par se taire. Sauf qu'un corps démétaphorisé ne se désarrime pas pour autant de la relation à l’Autre. Au contraire, l’impasse subjective est forcée à l’aide d’une symptomatologie d’allure inédite. C’est ce dont témoigne le détournement de l'usage des psychotropes dans un contexte transférentiel où deux thérapeutes sont de la partie. L'hystérique prend au prescripteur le contrôle de cet objet pharmacologique fétichisé et dans le même mouvement elle signifie au psychanalyste la part de jouissance qui résiste. L’essence fondamentalement ambivalente du pharmakon est au service d’une conduite symptomatique qui attend toujours de la relation à l’Autre la réconciliation corporelle et psychique.

 

 

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