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Le corps mélancolique

 

Saverio Tomasella, psychanalyste.

 

A l’abri des regards, le corps s’expose en une différence redoutée, une énigme. Suis-je ce corps ? Ce corps est-il à moi ? Est-il mien ? Comment fais-je pour l’habiter (si, peu ou prou, je souhaite l’habiter) ? Quand ce ne sont pas, trop souvent, les questions ou les affirmations des autres qui l’étiquettent, le cataloguent, le rangent, le méprisent ou l’utilisent, l’usent, l’usurpent, l’ovationnent, l’idolâtrent, le captent et le placardent…

 

Exposé aux regards, le corps se cache et se dérobe, s’exhibe et s’inhibe, fonctionne à plein régime, à l’occasion en sur-régime et sur-chauffe, ou se rétracte en blocages, frigidités et paralysies. Maladies imaginaires, feints maux, craintes de simulacres, logorrhées médicinales, mystères scientifiques, pathologies sans noms et sans remèdes.

 

Le corps, cet étranger, malmené, maltraité, honni des religions, rejeté dans l’ostracisme capitalistique, rabroué au rang des marchandises périmables et vouées au périssement, au tabou du pourrissement. Corps décomposé par l’imagerie médicale et les tests biologiques. Corps surconsommé dans le sexuel totémisé, adulé et adoré tel un dieu tyrannique de jouissances imposées.

 

Au-delà de l’enveloppe physique magnifiée, maquillée, parée, retouchée, tatouée : les corps torves, les corps mal à leur aise, les corps honteux… Corps sacrifiés et corps du sacrifice. Corps drogués et dupés. Corps critiques, cryptiques, corps en crises et en cris : assaillis et acharnés. Corps maudits, corps massacrés, torturés, violés. Corps autopsiés. Cadavres.

 

Les vogues et les modes fichent le corps au premier plan pour évacuer l’existence de la psyché, ses conflits, ses tourments, ses troubles, ses émois, ses désirs ; parfois pour étaler crânement la négation de l’âme, le refus de l’inconscient et la mort supposée de la psychanalyse. Corps du poids écrasant des statistiques. Organon victorieux du sujet nié.

 

Corps d’organes et d’orgasmes ; corps d’orifices et d’appendices. Corps parcellaire des pulsions partielles, et cependant corps sans ouvertures, sans respirations, sans frémissements. Corps jetable, excitable, excisable, amputable ; corps maudit des fantasmes de destruction ; corps amorphe de la pulsion de mort. Automates et statues des transports en communs, des citoyens interloqués, des électeurs décervelés. Corps immonde des mensonges officiels ; corps infâme de la propagande et des révisionnismes. Corps fanatique des barbaries ordinaires. Corps obscène des media. Immense corps de la dépression galopante. Corps géant des diagnostics sentenciels ; corps obèse des orgies de médications psychotropes.

 

Qu’or mêle en colique…

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